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Gouvernance et entreprises familiales : un levier pour réussir la transmission

Seules 12 % des entreprises familiales parviennent à la troisième génération, et 3 % seulement sont encore dirigées par les arrière-petits-enfants des fondateurs. Ces chiffres illustrent l’ampleur des défis rencontrés à chaque transmission intergénérationnelle. Si ces difficultés sont multiples, l’absence d’une gouvernance structurée figure parmi les causes majeures d’échec.

Les entreprises familiales sont uniques car elles conjuguent rationalité économique et enjeux émotionnels. Au fil des générations (et des transmissions), l’augmentation du nombre d’actionnaires familiaux et la complexité croissante de l’entreprise demandent de mettre en place une gouvernance duale qui articule ces deux dimensions : la gouvernance de l’entreprise et la gouvernance familiale.
Pourtant 76 % des entreprises familiales ne disposent d’aucun outil de gouvernance familiale (Bpifrance Le Lab). Seules 14 % possèdent une charte familiale, 18 % un conseil de famille, et seulement 8 % combinent ces deux dispositifs.

Nous portons la conviction qu’une gouvernance structurée
et professionnalisée constitue un levier stratégique pour réussir la transmission, car elle favorise le développement de l’entreprise et contribue à l’harmonie au sein de la famille actionnaire.

Pourquoi la gouvernance des entreprises familiales
ne peut-elle pas se limiter aux modèles classiques de gouvernance ?

Dans les entreprises familiales, trois cercles interagissent : la famille, l’entreprise et l’actionnariat familial. L’entreprise familiale repose ainsi sur des sphères aux logiques complexes qui peuvent sembler contradictoires :

  • La sphère économique qui vise la performance et la croissance de l’entreprise
  • La sphère familiale guidée par des liens affectifs et des dynamiques émotionnelles.

Cette complexité exige une gouvernance capable de gérer cette cohabitation afin d’éviter que les enjeux émotionnels n’interfèrent avec la gestion de l’entreprise. La gouvernance de l’entreprise familiale se situe ainsi « entre rationalité et émotion(s) » (Hirigoyen, 2024).

Les organes de gouvernance traditionnels (conseil d’administration, de surveillance ou stratégique) ne suffisent donc pas ! Une gouvernance familiale doit s’y ajouter pour encadrer les relations entre actionnaires familiaux et entreprise. Deux outils majeurs sont incontournables :

  • Le conseil de famille, espace de dialogue entre les actionnaires familiaux sur le projet commun, les enjeux stratégiques et émotionnels liés à l’entreprise.
  • La charte familiale, qui formalise valeurs, objectifs et règles du jeu, permet d’anticiper les conflits et d’encadrer les processus de transmission.

Comment une gouvernance bien pensée peut-elle transformer la transmission, perçue comme une période à risque, en une véritable opportunité ?

La transmission intergénérationnelle est une phase critique pour l’entreprise familiale. Elle peut générer tensions et incertitudes aux trois niveaux (famille, actionnariat et entreprise) au détriment de la performance et de l’unité familiale. Qu’il s’agisse du choix du successeur et de la transformation qu’il apporte, de la difficulté du dirigeant à lâcher prise ou encore de sentiments d’injustice générés par la répartition du pouvoir et/ou du capital, elle peut créer une période d’instabilité que la gouvernance d’entreprise et familiale peuvent limiter.

Les recherches académiques et les retours d’expérience montrent que la gouvernance joue un rôle déterminant pour la réussite de la transmission :

  • Un rôle pacificateur :
    Grâce à des règles préétablies, la gouvernance familiale anticipe et prévient les conflits au service de l’unité familiale, notamment dans la période critique de la transmission où la charge émotionnelle est forte.
  • Un rôle moteur :
    Une transmission se prépare sur un temps long, une gouvernance d’entreprise structurée facilite la montée en compétences de la NextGen, planifie la succession et favorise le passage de flambeau réussi à un successeur choisi par le transmetteur.
  • Un vecteur de performance et d’innovation :
    Professionnalisée et structurée, composée de membres indépendants, la gouvernance d’entreprise permet d’accompagner l’inflexion stratégique apportée par le receveur. La capacité d’une entreprise familiale à évoluer après une transmission dépend largement de ses mécanismes de gouvernance car ils structurent les responsabilités, renforce la légitimité et l’autorité du successeur bénéfique à la performance (Querbach & Bird, 2017). La direction de l’entreprise n’est ainsi pas impactée par les sujets de la sphère familiale.
  • Un atout stratégique :
    L’attachement émotionnel, la culture, les valeurs et la vision long terme (« familiness » Habberson & Williams, 1999) des entreprises familiales quand ils sont bien gérés sont des avantages concurrentiels sur leurs marchés (engagement, singularité, pérennité). La gouvernance duale, d’entreprise et familiale, est garante de la perpétuation de ces valeurs et de ce patrimoine immatériel, tout en accompagnant le développement de l’entreprise.

Quelles bonnes pratiques de gouvernance pour réussir
la transmission ?

  • La transmission est le moment opportun pour structurer la gouvernance d’entreprise et familiale.
    Il est fréquent, notamment lors d’un passage de flambeau de la G1 à la G2, que la gouvernance n’existe pas ou qu’elle soit composée de proches du dirigeant (« family and friends »), qui ne jouent pas toujours leur rôle. C’est au nouveau dirigeant familial, le receveur, de construire la gouvernance qui lui convient. Ceci lui permettra d’adapter les rôles, les responsabilités et les processus de décision à la nouvelle réalité.
  • Professionnaliser la gouvernance d’entreprise, par la création de comités spécialisés et l’intégration d’administrateurs indépendants.
    L’étude publiée par la Bocconi en 2016 démontre que l’ouverture du conseil d’administration à des membres non familiaux améliore les performances après une succession familiale : +2,3 points de ROI lorsque la proportion de membres non familiaux est plus élevée. Ce type de conseil favorise une prise de décision stratégique efficace et une meilleure gestion des défis liés à la transition générationnelle.
  • Mettre en place une gouvernance familiale dès la deuxième génération.
    Elle est un mécanisme régulateur indispensable pour l’unité familiale et la poursuite du développement de l’entreprise – et ce, même si la taille de la famille est restreinte. La charte familiale en est la clé de voûte, le processus collaboratif d’écriture de la charte familiale est aussi important que le résultat lui-même. N’attendez pas une crise pour travailler la gouvernance, « on répare son toit quand il fait beau » !
  • Intégrer équitablement les actionnaires familiaux dans la gouvernance familiale, s’il n’y a pas de recentrage de l’actionnariat sur une branche.
    Pour le conseil de famille : représentez équitablement les branches et donnez en la présidence à un familial en quête de rôle et de reconnaissance. Au sein du conseil d’administration : donnez un siège de censeur à un familial amené à exercer des responsabilités au sein de l’entreprise.
  • Adapter les rôles et responsabilités à la nouvelle génération.
    En définissant des modalités claires de transmission et d’intégration des futurs dirigeants, en faisant preuve de clarté sur le choix du receveur.

La gouvernance ne se limite pas à un ensemble de règles, elle est un levier puissant pour réussir la transmission intergénérationnelle de l’entreprise familiale. En préservant l’unité familiale, la stabilité actionnariale et en accompagnant le développement de l’entreprise, elle prépare l’avenir. Chaque dirigeant d’entreprise familiale doit se demander si la gouvernance de son entreprise est réellement prête à accompagner sa transmission.

For Talents & Transmission Lab. (2023). L’art de réussir le passage de flambeau : Les postures des dirigeants familiaux post-transmission. For Talents.

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Perrine Julien

Par Perrine Julien
Manager Accompagnement Transmission

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