Une idée reçue perdure dans l’univers des entreprises familiales : transmettre son entreprise à la génération suivante prendrait environ 10 ans… Ce chiffre deviendrait finalement une « norme », presque rassurante… En réalité, il cache souvent la difficulté du dirigeant transmetteur à se détacher et des blocages émotionnels liés à la transmission.
Nous sommes convaincus chez For Talents, qu’une transmission doit se préparer, s’accompagner et suivre un processus structuré sur un temps limité – pas sur 10 ans !
Les recherches académiques convergent vers un modèle de transmission pilotée sur 4 à 6 ans. Ceci corrobore nos observations des transmissions : pour réussir, il faut anticiper et structurer la transmission sur 3 ans, voire 5 ans dans certaines situations, incluant une période finale intense de 12 mois avec à l’issue un passage de flambeau qui n’autorise pas de retour en arrière.
Ce que dit la littérature académique sur la durée du processus de transmission
La littérature académique sur les entreprises familiales s’accorde pour décrire la transmission comme un processus structuré et organisé dans le temps. Dans leur article de référence (𝘛𝘰𝘸𝘢𝘳𝘥 𝘢𝘯 𝘐𝘯𝘵𝘦𝘨𝘳𝘢𝘵𝘪𝘷𝘦 𝘔𝘰𝘥𝘦𝘭 𝘰𝘧 𝘌𝘧𝘧𝘦𝘤𝘵𝘪𝘷𝘦 𝘍𝘖𝘉 𝘚𝘶𝘤𝘤𝘦𝘴𝘴𝘪𝘰𝘯, 𝘍𝘢𝘮𝘪𝘭𝘺 𝘉𝘶𝘴𝘪𝘯𝘦𝘴𝘴 𝘙𝘦𝘷𝘪𝘦𝘸, 2004), Le Breton-Miller, Miller & Steier proposent un modèle complet et séquencé en 5 étapes pour structurer la transmission. Il s’étale sur 5 à 10 ans avant la transmission effective avec une phase finale de transition active durant jusqu’à 2 ans. Ceux-ci recommandent de 1) Fixer les règles du jeu et les principes de gouvernance, 2) Développer les compétences des successeurs, 3) Sélectionner le repreneur, 4) Transférer le pouvoir, 5) Organiser la transmission du capital.
Handler (1994) quant à lui, distingue deux phases dans la transmission : la volonté de transmettre dépendant entièrement du transmetteur, et la capacité à le faire – en lien avec le dirigeant receveur. Cette dernière désigne la capacité du receveur à assumer la responsabilité de l’entreprise notamment grâce à un programme de formation adaptée, des compétences acquises par une expérience professionnelle suffisante et un soutien / mentorat du dirigeant transmetteur. Handler montre que cette seconde phase est souvent mal outillée : pas de calendrier, manque de clarté sur le choix du successeur, absence de dialogue intergénérationnel par l’intermédiaire de la gouvernance familiale par exemple.
Or, il y a des risques avérés à ne pas planifier et à laisser la transmission s’éterniser…
Près d’un transmetteur sur deux estime que la transmission prendra plus de dix ans, et 44 % n’ont pas encore commencé à la préparer*. Souvent, cet étiolement dans le temps est lié à la décision différée du dirigeant transmetteur de se lancer véritablement dans le processus en posant un nom pour son successeur et en fixant une échéance claire. Ainsi, 47 % des chefs d’entreprises familiales de 60-69 ans n’ont pas formalisé de plan de succession*.
Or, seul le dirigeant en place, peut véritablement impulser la dynamique de transmission (cf. conviction 4) et le fait de la repousser traduit souvent sa peur du vide alors qu’aucun projet d’après n’a été défini. Ces transmissions sans cadre traînent en longueur… et font peser de vrais risques pour le développement de l’entreprise et pour l’unité familiale, identifiés par Le Breton-Miller, Miller & Steier (2004) :
• Sans échéances, la transmission dérive, ce qui ne donne pas de cap stratégique clair, affaiblit la cohérence, et l’engagement des parties prenantes (receveur, collaborateurs, famille) : d’où la nécessité d’un calendrier clair et communiqué.
• La durée excessive du processus disperse l’énergie collective, entretient l’indécision et ouvre la porte à un possible retour du dirigeant sortant : il faut limiter le processus de transmission dans le temps.
• Sans clarté, il y a un risque de conflit et de confusion des rôles : il faut une grande clarté sur qui reprendra le flambeau et des étapes formalisées.
• Une période calme pour l’entreprise peut accepter un transfert progressif, une période de rupture intense ou de tension demande un passage de relais rapide pour éviter l’obsolescence du dirigeant : le rythme de la transmission doit être adapté au contexte.
Ce que nous observons et recommandons chez For Talents
Trop de dirigeants estiment que préparer la transmission, c’est attendre que leurs enfants soient prêts. Et dans la réalité, pour certains, « il manquera toujours un quart d’heure de cuisson » !
La préparation commence effectivement « informellement » bien avant l’annonce du processus de transmission à travers des échanges familiaux, des stages d’été, une immersion culturelle et enfin une exposition professionnelle structurée (qui d’ailleurs mérite à débuter à l’extérieur de l’entreprise familiale). En revanche, la transmission formelle (avec gouvernance, calendrier, décision) doit durer au maximum 3 à 5 ans. Au-delà, le risque est de perdre l’élan collectif.
La feuille de route de transmission de la direction de l’entreprise recommandée par For Talents
À partir du moment, où le transmetteur sait à qui transmettre et a décidé de transmettre et d’enclencher le processus, l’exécution de celui-ci peut se dérouler sur 3 ans. Le transmetteur en est responsable et l’impulse. Cette feuille de route est valable qu’il s’agisse de la transmission de la direction opérationnelle ou d’une présidence de conseil.
| Étapes | Objectifs | Actions clés | Horizon |
|---|---|---|---|
| 1. Identifier et préparer le receveur | Développer la compétence et la légitimité |
• Parcours de formation, expériences externes. • Parcours interne clair et structuré sous forme de montée en compétences via rotations internes, exposition progressive, intrapreneuriat, développement d’une nouvelle branche, mentorat… |
J-5 ans à 3 ans |
| 2. Décider de transmettre et poser une date claire | Passer de l’intention à l’action |
• Examiner les scénarios possibles (vente externe, transmission familiale, management buy-out). • Clarifier les motivations à transmettre au sein de la famille (pérennité de l’entreprise, valorisation du capital). • Poser une date cible pour enclencher le processus en mode projet. |
J-3 ans |
| 3. Annoncer et cadrer | Poser le cadre du processus |
• Nommer officiellement la transmission, désigner un receveur, fixer une échéance. • Structurer la gouvernance d’entreprise et familiale. • Communiquer aux parties prenantes. |
1 an à 18 mois → J0 |
| 4. Passer le relais | Transférer le pouvoir effectif |
• Formaliser un plan de transmission opérationnel entre le transmetteur et le receveur : quels sont les sujets qui sont encore aux mains du transmetteur, à quelle échéance et comment passent-ils au receveur ? • Clarifier les processus décisionnels* ; le transmetteur se met progressivement en retrait. • Organiser une communication interne/externe et un rituel de passation. |
12 mois → J0 |
| 5. Stabiliser et accompagner | Consolider la transmission |
• Coaching ou accompagnement du receveur. • Présentation du projet du receveur aux parties prenantes. • Définition claire du rôle du transmetteur (sponsor, non-décideur) et des rituels d’échange receveur / transmetteur post-transmission. • Ajustement de la gouvernance d’entreprise et familiale. |
J+1 an |
* Le receveur doit être aligné avec toutes les décisions car il en portera ensuite la responsabilité.
Tout au long de ce processus, il faut s’assurer d’une communication constante, en premier lieu, au sein de la famille, ceci afin de pouvoir entendre chacun, ses attentes, ses craintes et de limiter les tensions familiales. Le transmetteur aura grand intérêt à se faire accompagner humainement dans cette transition qui recouvrent des enjeux éminemment émotionnels (cf. conviction 3).
Le transfert des titres de l’entreprise suit, lui, sa propre temporalité en parallèle du transfert du pouvoir. Il est essentiel de coordonner ces calendriers sans forcément les superposer, la transmission du pouvoir peut ainsi précéder celle de la propriété. Alors que la transmission managériale peut s’opérer sur un horizon de 3 à 5 ans, la transmission juridique et patrimoniale demande souvent davantage de temps. Celle-ci peut prendre différentes formes selon la situation familiale et patrimoniale (donation simple ou donation-partage, mise en place d’un pacte Dutreil, rachat des titres par le receveur, transmission mixte etc). Quel que soit le dispositif retenu, l’enjeu est de converger rapidement vers une cohérence entre la détention du capital et l’exercice du pouvoir, en veillant à préserver à la fois la pérennité de l’entreprise, son agilité de gestion, et l’équilibre familial (égalité ou équité).
En conclusion, une transmission réussie se joue sur un temps suffisamment long pour préparer, assez court pour conserver l’élan. 3 à 5 ans pour préparer, 1 an pour passer, 1 an pour consolider : ce rythme que nous préconisons n’est pas une contrainte, mais une dynamique permettant au transmetteur de laisser les rênes en confiance, au receveur d’entrer en légitimité, et à l’entreprise de rester en mouvement. Nous sommes convaincus que la transmission doit être préparée, structurée, accompagnée — mais elle ne doit pas durer dix ans. Parce qu’au-delà de cinq ou six ans, ce n’est plus une transition, mais un flou et une attente qui affaiblissent l’entreprise, le receveur et la cohésion familiale.
Nos Bonnes Pratiques pour une transmission structurée dans le temps :
1. Décider tôt et formaliser : sans décision du transmetteur, pas de transmission, seulement une attente floue et inconfortable pour tous.
2. Impliquer tôt… mais pas trop tôt : exposer à l’entreprise mais intégrer seulement quand un parcours clair de développement et en compétences existe pour le receveur. C’est le transmetteur qui est responsable de le mettre en place.
3. Piloter la transmission en mode projet (dès J-5 ans) – le transmetteur est le leader du processus. Structurer les étapes, écrire un plan de transmission opérationnel et fixer un calendrier clair. Penser pouvoir et capital de façons complémentaires et ne pas attendre l’alignement parfait entre les deux avant de passer le relais opérationnel.
4. À J-12 mois, enclencher la phase finale : Associer le receveur à toutes les décisions puisqu’il en portera ensuite la responsabilité. Adopter une posture de retrait progressif pour le transmetteur en lien avec le plan de transmission opérationnel défini.
5. Ritualiser le passage : Marquer le moment de transmission par un rituel visible de toutes les parties prenantes internes et externes. Ne pas repousser ce moment.
6. Accompagner le receveur : mentorat, coaching, formations ciblées, adhésion à des clubs de dirigeants afin de gagner en assurance, en légitimité et bénéficier d’une prise de recul nécessaire à sa nouvelle fonction.
7. Ne pas négliger l’accompagnement du transmetteur : la transmission est un processus émotionnel complexe, un projet d’après épanouissant pour le transmetteur l’aidera notamment à passer ce cap le plus sereinement possible.
8. Communiquer auprès des parties prenantes tout au long du processus.
9. Et enfin, donner un cadre à l’après-transmission : définir le rôle que jouera l’ancien dirigeant familial et dans quelle temporalité. Cela limitera les risques d’interférences après le passage de flambeau et lui permettra de se sentir reconnu en tant qu’ancien dirigeant.
Étude Bpifrance « Les entreprises familiales à l’épreuve des générations » (2023)
Le Breton-Miller, I., Miller, D., & Steier, L. (2004). Toward an Integrative Model of Effective FOB Succession. Family Business Review, 17(4), 305–330.
Handler, W. C. (1994). Succession in Family Business: A Review of the Research. Family Business Review, 7(2), 133–157.
Handler, W. C. (1992). The succession experience of the next generation. Family Business Review, 5(3), 283–307.
Bpifrance (2023). Les entreprises familiales à l’épreuve des générations. Observatoire Bpifrance Le Lab.
Ward, J. L. (1987). Keeping the Family Business Healthy: How to Plan for Continuing Growth, Profitability, and Family Leadership. San Francisco, CA: Jossey-Bass.
Sharma, P., Chrisman, J. J., & Chua, J. H. (2003). Succession Planning as Planned Behavior: Some Empirical Results. Family Business Review, 16(1), 1–15.
Par Perrine Julien
Manager Accompagnement Transmission


