Entente entre générations autour de l’entreprise familiale : mode d’emploi

Transposé au contexte de l’entreprise familiale, cette tendance devient problématique, notamment lorsque vient le temps de la transmission : comment espérer passer les témoins dans de bonnes conditions sans en parler largement en famille ?

Entente entre générations autour de l’entreprise familiale : mode d’emploi

 Un défaut de communication manifeste !

Ce que dit la génération en place :

parmi les dirigeants qui ont un projet de transmission, 8 dirigeants d’entreprises familiales sur 10 souhaitent transmettre la propriété et la direction opérationnelle de l’entreprise à un ou plusieurs membres du cercle familial*. Pourtant 89% des entreprises familiales en France n’ont pas de plan de transmission formalisé.

Ce que dit la jeune génération :

7 jeunes sur 10 (de 18 à 35 ans) manifestent un intérêt pour l’entreprise familiale**.
Une jeune femme de 26 ans, jeune membre de la « next gen » de propriétaires exploitant viticole en Bourgogne nous a déclaré en entretien individuel :

« si j’avais su qu’on pourrait compter un jour sur moi pour le Domaine,
j’aurais certainement fait d’autres choix académiques… »

Créer puis cultiver un lien entre famille et entreprise, entretenir les conditions d’un dialogue libre sur ces sujets, faire comprendre les métiers et les enjeux, finalement faire entrer l’entreprise dans la réalité des enfants, leur permet de faire des choix et de se construire en ayant en tête cette entreprise. Sans cela, peu de perspectives de transmission efficace sont possibles. Par ailleurs, que ce soit en termes de chiffre d’affaires, de marge d’EBITDA ou de capitalisation boursière, les transmissions subies détruisent beaucoup de valeur.***

Pourquoi envisager la transmission peut être difficile pour le dirigeant ?

On entend très souvent le « Je ne veux rien imposer à mes enfants » : cependant, en France, lorsque l’aventure entrepreneuriale est couronnée de succès, la transmission d’un patrimoine aux enfants est inéluctable. C’est bien dès que l’entreprise a été créée ou reprise que le rendez-vous avec la transmission a été pris, que l’on envisage de transmettre l’entreprise ou l’esprit d’entreprendre et les moyens de le faire…

Transmettre implique de se dessaisir, d’un capital, d’un pouvoir, d’un statut, d’un revenu. C’est tout sauf naturel. Ces dimensions peuvent générer quelques craintes : la réflexion sur le « projet d’après » permettra d’objectiver les choses (pour soi-même et pour l’entreprise). Par ailleurs, ce mouvement de transmission est le contraire de ce que le dirigeant a fait pendant son temps de direction, leader incarnant, parfois seul, une ambition et emmenant les équipes pour la mettre en œuvre. Après un parcours d’entrepreneur, il doit apprendre à désormais aborder les sujets clés en collectif, dans une nouvelle position d’actionnaire (qu’il était déjà mais sans l’incarner) qui nécessite aussi un apprentissage.

Le dirigeant devra donc prendre conscience de la nécessité de préparer la transmission, puis lui donner le cadre qui correspond à son projet. Ainsi le dirigeant commence par définir des horizons de temps pour la transmission tout en imaginant un nouveau rôle, aux côtés et/ou hors de l’entreprise, tout en projetant son train de vie lors de cette nouvelle séquence de vie à venir.

Le nécessaire dialogue inter-générationnel

Une fois les premiers éléments de ce cadre formulés, la discussion en famille peut réellement commencer. En effet, à partir du moment où l’on a conscience de cette transmission à venir, autant construire le « bon » schéma avec les enfants afin qu’ils reçoivent à terme quelques chose qu’ils auront co-construit et qui sera ainsi clair pour eux !

Un père, entrepreneur à succès dans l’univers de la mobilité, nous a dit un jour :

« Je veux que mes filles soient totalement libres de leur choix, je vais donc vendre mon entreprise et elles feront ce qu’elles voudront avec les ressources ainsi dégagées. »

Il omettait que prenant une telle décision, il fermait la seule porte impossible à ré-ouvrir : celle de la reprise de l’entreprise, désormais familiale, par ses filles. Il créa par cette cession un contexte d’incompréhension avec ses filles, des frustrations, in fine un véritable accroc dans la bonne entente familiale.

La transmission de l’entreprise, quel que soit son format, deviendra ainsi rapidement un sujet d’échanges en collectif, et ce avec plusieurs objectifs :

  • Expliquer la réalité du patrimoine des parents, parler de l’entreprise le cas échéant, former les jeunes à quelques réflexes ;
  • Interroger leurs envies, leurs ambitions et la manière dont ils se projettent dans l’avenir, avec la liberté continue de pouvoir dire non ou de changer d’avis ;
  • Nourrir le projet familial des aspirations et des talents des jeunes actionnaires ;
  • Enfin aboutir à un nouveau collectif, porteur d’un nouveau projet, prêt à en confier un jour la direction à une nouvelle équipe, avec une nouvelle gouvernance d’accompagnement. Le nouveau collectif peut impliquer tout ou partie de la famille en fonction des envies et affinités. Le nouveau projet peut tout à fait passer par une recomposition du capital de l’entreprise, voire une cession, impliquant des tiers non familiaux (comme For Talents).
Le projet d’actionnaire : moteur du dialogue inter-générationnel autour de l’entreprise Mob

Le projet d’actionnaire :
moteur du dialogue inter-générationnel autour de l’entreprise

Permettre à chacun d’exprimer ce à quoi il tient ouvre une possibilité d’accorder les aspirations au sein de la famille, en écho avec les besoins d’évolution à apporter à l’organisation.

Cela offre aussi une opportunité rare en famille de (re)connecter sur le fond : qu’est-ce qui nous anime profondément individuellement et collectivement ? Au nom de quelles valeurs et de quelles convictions agissons-nous ? De quelle manière souhaitons-nous les incarner ?

Et de là, petit à petit, la famille formule le « pourquoi ? » du projet collectif, puis le « quoi ? » et enfin le « comment ? ».
Le tout permet enfin d’éclairer le « qui ? » se projette dans l’aventure durablement, pour quelle implication et à quelles conditions. Tous les enfants ne souhaitent pas poursuivre l’œuvre familiale, jouer un rôle salarié, s’impliquer en tant que gouvernants ou collaborer avec leurs frères, sœurs, cousins… Prendre acte de ces approches individuelles amènera à préparer une transmission éclairée et pourquoi pas à transmettre l’entreprise de manière inégalitaire en fonction des positions respectives des enfants. Tous ces principes peuvent être ainsi explicités dans un document, la charte des actionnaires, formant un cadre à la relation familiale autour de l’entreprise.

Dans le « comment ? », la famille se donne un ensemble de modalités de fonctionnement posant un cadre à l’accueil des nouveaux actionnaires. Ainsi les « règles du jeu » sont claires et « opposables », dans un esprit d’équité entre jeunes actionnaires. Cela permet d’objectiver et légitimer certaines décisions difficiles, comme le recrutement d’un familial ou le choix d’un successeur, donnant ainsi à la famille les meilleures chances d’une harmonie durable, téléscopée le moins possible par les enjeux de l’entreprise.

Bien sûr lancer, piloter et mener à bien une telle démarche implique de s’organiser. L’intervention de tiers experts permettra d’avancer en sécurité, avec méthode et sérénité pour atteindre le but visé. Puis, une fois le dialogue véritablement ouvert en famille, il sera utile de s’organiser pour permettre qu’il se poursuive au fil de la vie de l’entreprise et de la vie de la famille.
Dans ces contextes, nous accompagnons bien souvent la création d’un organe familial, le conseil de famille ou family board, afin de donner un espace dédié au traitement des sujets familiaux qui ne relèvent pas des organes de gouvernance de l’entreprise.

« Ainsi chaque sujet a son espace, chaque organe a son territoire de responsabilité, la vie de famille est par ailleurs préservée le plus possible des discussions « business » inopinées. Le conseil de famille veillera à la bonne application des dispositions et procédures prévues dans la charte et offrira un espace d’échange si certaines tensions apparaissent. Il est l’outil de la bonne entente familiale autour de l’entreprise. »

Cette dynamique et cette organisation intergénérationnelles créent le terreau pour le développement d’un triple lien de confiance, condition à la projection de l’aventure familiale au-delà de l’échelle d’un homme :

Faire Confiance - Laurent Allard

Faire Confiance : la génération en place doit se préparer à lâcher les rênes avec l’assurance que la nouvelle équipe saura relever les défis à venir. Cette confiance se construit sur la préparation minutieuse et l’accompagnement constant des successeurs,

Prendre Confiance - Laurent Allard

Prendre Confiance : les successeurs doivent cultiver leur confiance en leur propre capacité à porter, un jour, le projet. Cela suppose de savoir ne pas chercher à être une « copie », forcément toujours pâle, des prédécesseurs,

Donner Confiance - Laurent Allard

Donner Confiance : la famille doit, collectivement et via ce processus de dialogue intergénérationnel organisé et en continu, inspirer confiance à toutes les parties prenantes au projet de l’entreprise. Elle leur communique clairement les visions pour l’avenir et démontre que la transition est préparée, au bénéfice de toutes les parties.

L’entente inter-générationnelle passe ainsi par l’écoute vraie et la valorisation des apports de chacun, formalisées dans une organisation qui met la famille petit à petit en position de porter un projet collectif intergénérationnel. Les travaux sur le projet familial permettent alors au collectif actionnarial intergénérationnel de prendre forme, chaque génération trouvant sa place et son utilité dans le projet.

L’entente entre les générations ressortira renforcée de telles dynamiques. Au-delà du contexte favorable créé par une bonne entente familiale, cette capacité à accueillir la nouvelle génération, à lui accorder une vraie place au fil du temps, avec un cadre clair, est certainement un des secrets de la pérennité de ces belles aventures familiales !

* La culture entrepreneuriale et familiale : « un levier pour la transmission », Chaire Audencia avec le FBN, 2020
** Dans les yeux de la Next Gen », ICHEC V. Denis et M. Hollanders 2015)
*** BCG ; Analyse de plus de 200 transitions opérationnelles entre 1995 et 2014

Laurent Allard.<br />
Associé co-gérant de Family & Co.

Par Laurent Allard.
Associé co-gérant de Family & Co.