À qui vais-je transmettre l’entreprise ? Est-il (elle) prêt (e) ? Est-ce le bon moment ? Que va-t-il se passer après mon départ ?
Chaque dirigeant d’entreprise familiale ou dirigeant-fondateur se trouve confronté à ces questions… Et il y a toujours une bonne raison de différer la décision : un successeur perçu comme pas encore tout à fait légitime ou prêt, un marché incertain, un important projet à venir, des enjeux familiaux complexes… Transmettre, c’est affronter des questions inconfortables, où s’entremêlent rationnel et émotionnel.
Une chose est sûre : tant que le dirigeant n’aura pas pris la décision de transmettre, rien ne se mettra réellement en place.
La transmission n’est pas un processus qui s’improvise ou se règle de lui-même, elle exige une volonté claire et des choix assumés : choisir son successeur, fixer le bon timing, mettre en place les bons outils (Pacte Dutreil, donation-partage…) et surtout, décider de lâcher prise. Car, transmettre ce n’est pas seulement organiser le dispositif juridique, financier et fiscal, c’est décider que l’avenir de l’entreprise se construira au-delà de soi… Ce qui ne peut se faire ni dans l’urgence ni dans la contrainte.
Décider de transmettre et non attendre que le temps impose son choix
“Décider, c’est trouver la force de s’engager dans l’incertitude, y aller dans le doute, malgré le doute.” Charles Pépin
Les bénéfices d’une planification de la transmission sont évidents : préparation du successeur, optimisation fiscale, intégration des parties prenantes, préparation de sa nouvelle étape de vie pour celui qui transmet, etc. Et pourtant, 60% des dirigeants d’entreprise familiale ou des dirigeants fondateurs n’ont pas de plan de transmission…
En effet, qui aime penser à sa propre « disparition » ? Trancher à qui transmettre entre ses enfants ? Renoncer à une position prestigieuse et finalement sécurisante pour un avenir plus incertain ? La transmission est parfois perçue – à tort – comme le plus grand risque à prendre par des dirigeants d’entreprise qui ont passé leur vie professionnelle entière à prendre des risques !
La planification de la transmission est d’ailleurs souvent entravée par une réticence collective des parties prenantes qui n’osent pas aborder le sujet ou redoutent le changement que cela implique, c’est la “conspiration de la succession” définie par Ivan Lansberg en 1988. Or ne pas traiter le sujet ne signifie pas que la succession n’aura pas lieu…
Si le dirigeant ne démarre pas le processus lui-même, il risque de lui être imposé par des circonstances extérieures et à des conditions défavorables. En effet, retarder la transmission implique des conséquences préjudiciables à l’entreprise et à la famille :
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La performance de l’entreprise peut être entravée par un dirigeant qui reste trop longtemps et qui ne prend pas les décisions nécessaires à la transformation de l’entreprise, sans s’en rendre compte.
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L’indécision peut créer un climat de tensions et de rivalités au sein de la famille.
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…Sans parler de la maladie ou du décès soudain du dirigeant qui exposerait l’entreprise à un risque d’instabilité ou précipiterait une cession dans de mauvaises conditions.
C’est au leader de l’entreprise qu’il revient d’assumer le processus de transmission avec lucidité et engagement. Lui seul possède la légitimité, l’expérience et la vision stratégique pour piloter au mieux cette transition (John L Ward).
Aronoff, C. E., & Ward, J. L. (2010). Family business succession: The final test of greatness (2nd ed.). Palgrave Macmillan.
Transmettre implique des choix complexes
“Planifier et gérer la succession ne sont pas seulement des obligations stratégiques, mais le fondement même d’une gouvernance responsable.” (Aronoff, C. E., McClure, S.L & Ward, J. Family business succession: The final test of greatness)
L’anticipation est nécessaire car la transmission est un chemin jalonné de points de passage critiques, anticiper ces choix permet de ne pas les subir.
Choisir en conscience de transmettre à un membre de la famille
Le dirigeant familial doit évaluer les différentes options possibles pour s’engager pleinement et en conscience dans une décision qui soit alignée avec ses valeurs, les valeurs familiales et les enjeux économiques de l’entreprise. Trois grandes modalités s’offrent à lui :
- La reprise par les managers : elle nécessite des capacités financières et managériales de la part des personnes concernées. Elle permet de confier l’entreprise à une équipe en place et expérimentée
- La reprise totale ou partielle par un tiers extérieur : parfois difficile à envisager émotionnellement, dans certains cas, elle peut être la meilleure solution pour assurer le développement de l’entreprise.
- La transmission intrafamiliale : elle nécessite un double accord entre le dirigeant et son successeur et soulève des enjeux émotionnels forts pour le dirigeant et sa famille. Elle assure la continuité de la gouvernance et des valeurs et demande un accompagnement et une planification minutieux. Parfois et pour un temps donné, elle nécessite la mise en place d’un dirigeant non-familial en transition.
Choisir un successeur visionnaire capable de porter le développement de l’entreprise
Désigner un receveur, c’est choisir une Personne Source capable de prolonger et d’enrichir la vision de l’entreprise à sa place. La Personne Source est celle qui porte naturellement l’énergie du projet et qui, sans qu’on le lui impose, manifeste déjà un engagement profond envers l’entreprise (Peter Koenig). Le choix du successeur ne repose pas uniquement sur des critères techniques ou familiaux, mais doit tenir compte de son alignement profond avec l’essence et les valeurs de l’entreprise. Le dirigeant-fondateur, ou le dirigeant-familial, sait au fond de lui à qui il doit passer le flambeau pour que l’entreprise poursuive son développement au-delà de lui-même.
Choisir Une date
Sans échéance claire, la transmission risque d’être sans cesse reportée, freinée par les incertitudes économiques ou les résistances psychologiques du dirigeant. Il n’existe pas de moment parfait pour transmettre, mais il est essentiel de se préparer soi-même, de préparer le successeur et l’entreprise.
Fixer une date de passage de flambeau oblige à préparer et structurer la transmission et à passer progressivement toutes les décisions au receveur. Cette date doit idéalement être fixée autour des 65 ans du dirigeant : quand il a encore l’énergie nécessaire pour aller vers un nouveau projet.
“Dans une course de relais, si le témoin est transmis trop tard, tout est perdu – y compris la victoire.” (John L.Ward) :
Retarder la transmission, c’est risquer de perdre tout ce qui a été construit. L’enjeu n’est pas seulement de transmettre, mais de le faire au bon moment.
Le dernier acte de leadership du dirigeant consiste à lâcher prise
“La véritable grandeur d’un PDG se mesure à sa capacité à choisir un successeur et à se retirer pour le laisser diriger son entreprise” Peter Drucker
Transmettre c’est accepter de se déposséder non seulement matériellement, mais aussi émotionnellement. Cela implique des renoncements et une préparation.
Lâcher prise, c’est aussi accepter que l’entreprise soit réinventée. Cela demande le courage de laisser la place à un nouveau style de leadership, parfois très différent, et de permettre au successeur d’apporter une inflexion stratégique. Au niveau psychologique, c’est exister autrement que par l’entreprise que l’on a fondée ou dirigée pendant des dizaines d’années, et affronter l’incertitude d’une nouvelle étape de vie, qui peut pourtant être tout aussi réjouissante.
Il s’agit également de trouver une nouvelle posture auprès du receveur : se positionner en sponsor bienveillant uniquement à sa demande et ne pas interférer dans les décisions.
Cette phase de transition, si elle est anticipée, donne lieu à un nouveau projet personnel, philanthropique ou entrepreneurial. Pour la vivre sereinement, il est crucial de bien la préparer, notamment en assurant sa sécurité financière. Et oser affronter les étapes d’un changement… Dont on sait qu’il ne durera qu’un temps : jusqu’à l’épanouissement dans le nouveau projet.
Bonnes pratiques
- Se faire accompagner pour évaluer les différentes options de transmission et vraiment choisir : intrafamiliale, cession externe, reprise par les managers.
- Repérer la « Personne Source » à qui transmettre : c’est celle qui au-delà des compétences techniques, ressent un véritable engagement intérieur et est prête à porter un nouveau projet sans se sentir écrasée par le poids de l’héritage. Ce n’est pas forcément le fils aîné.
- Décider et s’engager malgré l’incertitude : poser un nom et une date…et s’y tenir.
- Lâcher prise et changer de posture auprès du receveur. Préparer sa sécurité financière et un projet motivant pour l’avenir facilitera cette transition et assurera de laisser la place au nouveau dirigeant pour écrire son projet.
Aronoff, C. E., & Ward, J. L. (2010). Family business succession: The final test of greatness (2nd ed.). Palgrave Macmillan.
Merckelbach, S. (2020). Un petit livre rouge sur la source : Un regard inspirant et libérateur sur le management et la vie grâce aux « principes source ». Éditions Aquilae.
Drucker, P. F. (1973). Management: Tasks, responsibilities, practices. New York, NY: Harper & Row. « The final test of greatness in a CEO is how well he chooses a successor and whether he can step aside and let go. »

Par Perrine Julien
Manager Accompagnement Transmission